Histoire
- Ainsi donc vous faites une enquête sur les strigoïs.
- Tout à fait, j’aimerais enregistrer avec mon dictaphone ce que vous dites et ensuite tout retranscrire sur papier.
- Ne craignez-vous pas d’être pris pour un fou par vos semblables ?
- Oh ce ne sera pas publié, je constitue des dossiers pour le gouvernement, les plus vieux strigoïs sont les plus dangereux mais aussi les plus intéressants.« Dois-je réellement vous conter mes 1253 années d’existence ? Il y en aurait des choses passionnantes à en dire, mais il faudrait que j’écrive plusieurs livres pour cela. Alors je vais plutôt vous raconter l’histoire de ma vie avant ma mort et renaissance, de ce que j’étais en tant qu’humain. Je n’ai ni été dhampir ni moroï, mais ça ne m’a pas empêché de les coloniser et de faire de certains mes esclaves. A mon époque la religion était quelque chose de sacré, tout le monde appartenait à une croyance et le peu de personnes qui se considéraient athées finissaient la tête coupée. La plupart des conflits de mon époque étaient d’ailleurs d’ordre religieux, nous étions souvent confrontés aux chrétiens qui avaient pour dieu un certain Jésus-Christ, vous le connaissez tous. De notre côté les dieux étaient beaucoup plus nombreux : Odin, Frigg, Thor, Loki, Freyja... Je ne vais pas tous vous les citer, mais chacun a sa signification et son importance. Aujourd’hui mes dieux se sont éteints dans l’esprit de l’Homme, ne représentant plus que des légendes pour certains, plus grand-chose en réalité alors que leur petit Christ continue de vivre dans les esprits. Je crois que je ne comprendrais jamais. »
- Parlez-moi un peu plus de votre peuple, de votre réputation.« Qui suis-je ? Un normand, païen, barbare, homme du Nord, géant, il y a eu des tas de nom pour identifier mon peuple, mais un seul les représente tous : Viking. Je n’étais qu’un homme parmi tant d’autres à mes débuts, un Bondi, aussi appelé homme libre. Un combattant qui se battait vaillamment pour son chef, mais j’étais aussi plus malin et beaucoup plus curieux que la plupart de mes compères. J’avais soif de découvertes, envie de nouveautés, et pour un homme libre je trouvais que je ne l’étais pas assez. Heureusement j’ai tout de même la patience et l’analyse de mon côté. J’ai attendu le bon moment pour prendre le pouvoir, attendu que les autres combattants se rangent de mon côté, attendu que notre Jarl commette des erreurs et enfin j’ai pu le renverser et prendre sa place. Gouverner n’est pas fait pour n’importe qui, mais c’était un poste taillé sur mesure pour moi. »
- Et une fois devenu Jarl, qu’avez-vous fait ?« Si les Vikings étaient respectés, ils étaient aussi bien trop discrets à mes yeux. A partir de moi les choses ont changées, mes hommes ont parcouru des terres inconnues, pillés de nouveaux pays, tués des étrangers et colonisés des territoires. Barbares nous l’étions mais c’est ce qu’il faut pour être un bon conquérant. Nous avons fait tomber la France. Nous avons fait tomber l’Angleterre. Parmi nos meilleurs massacres, je dirais que celui des Pictes d’Ecosse arrive en tête. Un véritable carnage. Je ne suis pourtant pas du genre à décimer tout un peuple, généralement après une attaque l’ennemi se plie et nous propose quelque chose en contrepartie, de l’or et de l’argent, des terres, parfois allant même jusqu’à une alliance soudée à travers un mariage. Mais les Pictes étaient différents, comme nous, ils ne voulaient pas céder malgré leur défaite, ils voulaient mourir au nom de leur dieu au combat. »
- Alors vous les avez tous tué ?« Presque. Il ne restait plus grand monde à la fin, plus que quelques esclaves. J’ai moi-même décimé la famille du chef, sachant très bien que s’il restait ne serait-ce qu’un survivant, cette personne reviendrait pour obtenir vengeance. Alors ils devaient tous mourir, hommes, femmes et enfants, car même si ma génération ne craint rien d’eux, je ne voulais pas que les prochaines subissent des pertes par mes erreurs. Sauf que je n’ai pas eu la chef en question qui a survécu, pire, elle est devenue strigoï. Nous les connaissions bien ces monstres, mais nous ne les craignons pas. A nos yeux ils ne représentaient qu’une malédiction, le mal que certains dieux ont envoyé sur terre pour punir les pécheurs. »
- Vous parlez d’eux comme s’ils étaient le diable, pourtant vous en êtes devenu un.« C’est vrai. Le voyant me l’avait prédit, ou plutôt il m’avait annoncé une renaissance, mais je n’avais pas interprété ses mots d’une telle façon, je m’étais attendu à un avenir beaucoup plus brillant que celui de devenir strigoï. Je n’ai pas laissé le temps à mon créateur de m’expliquer ses raisons, je me suis contenté de le tuer et je peux vous dire que ma méthode était des plus brutales. Je l’ai décimé lui ainsi que tous ses compagnons puis j’ai dû abandonner mon peuple, je ne pouvais pas régner dans de telles conditions. »
- La légende dit que vous avez ensuite perdu la raison.« Comment ne pas la perdre ? Savez-vous depuis combien de temps je vis ? Depuis combien de temps la mort refuse de m’accueillir ? J’étais un chef et je suis devenu un monstre. J’avais une famille, un peuple et j’ai dû tout abandonner, j’ai dû accepter leur sort, leur mort au fil des années. Lorsque vous avez passé plus de mille ans dans ce monde sans jamais en voir le bout, il y a de quoi en devenir fou, ne pensez-vous pas ? »
- C’est pour cette raison que vous vous êtes fait passer pour mort ces cent dernières années ?« Je ne me suis pas fait passer pour mort, je l’étais vraiment, d’une certaine façon. Allongé dans un cercueil, confiné dans une pièce sombre à me dessécher, à simplement dormir, plongé dans un long coma. Vous savez, lorsque j’étais humain j’étais reconnu pour ma grande ingéniosité, toujours à trouver le plan parfait pour envahir et détruire l’ennemi. Mon peuple perdait souvent des batailles mais était connu pour remporter la guerre. J’apprenais toujours de nos échecs pour mieux vaincre, même lorsque je suis devenu fou cette façon de faire ne m’a pas quitté, mais on ne me reconnaissait pourtant plus que pour cette folie destructrice. Ce long sommeil avait pour but de me ressourcer, éteindre ce démon qui s'est emparée de mon esprit, me permettre d’avoir enfin l’occasion de redécouvrir des nouveautés à mon réveil. »
- Et est-ce que ça a marché ? Est-ce que vous êtes de nouveau saint d’esprit ? Est-ce que vous vous sentez mieux ?« Et bien je n’ai pas réellement apprécié découvrir que l’on m’a déplacé. Je ne pensais pas que des humains me réveilleraient, peut-être est-ce vous les plus insensés. A mon époque les humains étaient moins prétentieux, ils ne pensaient pas pouvoir garder enfermer des strigoïs dans une immense boite en métal. »
- A vrai dire il s’agit d’une unité, la 103.« Peu importe le nom. Vous m’avez demandé tout à l’heure si j’étais de nouveau saint d’esprit et je ne vous ai pas répondu. »
Je parviens à me défaire des chaines d’argent qui me retiennent sous les yeux ahuris de l’humain qui regarde autour de lui, sauf qu’il n’y a personne, juste nous deux et ce sont des gardes qui s’occupent de garder la porte fermée. Un mauvais sourire se dessine sur mon visage lorsque je me lève de mon siège. Penses-tu que je ne sois plus fou ? Je l’attrape avant qu’il n’atteigne la porte et le jette au sol, face contre terre. Je m’empare ensuite de son stylo et le plante dans sa nuque avant de le descendre jusqu’en bas de son dos afin de l’ouvrir. Ses hurlements doivent probablement alerter ses collègues car j’entends du bruit à l’extérieur. Je profite que la porte soit toujours fermée pour terminer, ouvrant à main nue son dos en deux au niveau de la fissure et attrapant sa colonne vertébrale pour la lui arracher, de quoi me faire une bonne arme pour ce qui va suivre.
Je sors de cette unité couvert de sang, la colonne vertébrale de l’humain toujours en main. Il y a un beau feu de joie derrière moi, des tas de cadavres éparpillés, un silence de mort et c’est plutôt le cas de le dire. Je laisse retomber mon arme, regardant ce vaste paysage autour de moi. Une fois de plus les dieux ont décidé de me ramener, ils ont encore des missions à me confier. Que s’est-il passé ces cent dernières années ? Un nouveau monde s’offre à moi, je vais enfin pouvoir refaire des découvertes, apprendre, agir, conquérir. Mon nom n’est pas encore prêt de s’éteindre, ni même ma vie.